[Parole d’expert] Dans cet article, Fanny Roy, avocat associé du cabinet Roy & ASSOCIES, revient sur une récente affaire qui oppose deux réseaux de pizzerias. L’occasion de lister les éléments d’informations précontractuels que doit absolument contenir le DIP
Dans une récente affaire se déroulant au cœur d’une guerre que se livrent deux réseaux de
restauration de pizzas, la Cour d’Appel de Versailles revient sur les éléments d’informations
précontractuels que doit contenir un Document d’Information Précontractuelle (DIP) avant la
signature d’un contrat de franchise, et sur les éléments pouvant justifier l’annulation d’un contrat
de franchise pour dol. Les juges retiennent le dol du franchiseur, mais n’indemnisent que
faiblement le franchisé, faute de preuve démontrant son préjudice
Le combat judiciaire en valait-il la peine ?
Selon l’article L.330-3 du Code de Commerce : « Toute personne qui met à la disposition d’une
autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un
engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue,
préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties, de
fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de
s’engager en connaissance de cause. »
Ce Document d’Information Précontractuelle dont le contenu est fixé par décret, précise
notamment, l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de
développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les
conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des
exclusivités. Il doit être communiqué vingt jours minimum avant la signature du contrat.
Il est de jurisprudence constante que le manquement du franchiseur à l’article L.330-3 du Code
de Commerce n’est susceptible de fonder l’annulation du contrat de franchise conclu que
lorsqu’il a vicié le consentement du franchisé par dol, réticence dolosive ou erreur.
Les éléments retenus par la Cour d’Appel pour annuler le
contrat
Dans cette affaire, la Cour d’Appel de Versailles a retenu, pour annuler le contrat de franchise
pour dol :
que les données communiquées par le franchiseur dans l’état de marché étaient anciennes,
portant sur les années 2000 et 2004, alors que le DIP avait été remis le 23 avril 2012.
Et surtout, que le DIP ne faisait aucun état de l’action en concurrence déloyale introduite par le
franchiseur, la société Speed Rabit Pizza, à l’encontre de son concurrent, la société Domino’s
Pizza, le mois précédent l’envoi de ce DIP au franchisé.
Or cette action judiciaire menée par le franchiseur aurait dû, selon les juges, être indiquée dans
le DIP, afin que le franchisé puisse mesurer son impact sur le réseau et sa future activité.
En effet, selon les propres conclusions du franchiseur, il était soutenu que Speed Rabit Pizza
était victime depuis plus de dix ans de la concurrence déloyale de Domino’s Pizza qui avait
causé la disparition de nombreux points de vente franchisés du réseau.
Alors que Speed Rabit Pizza se livrait à une bataille de longue haleine contre Domino’s Pizza,
le franchisé s’est emparé de ce moyen pour agir contre son franchiseur, au motif qu’il n’avait
pas été informé, dans le cadre de l’information précontractuelle, de ce contentieux.
Bien que le franchiseur contestait ce défaut d’information du franchisé, en invoquant deux
courriels informant les franchisés du réseau, de la procédure en concurrence déloyale qu’il
menait à l’encontre de Domino’s Pizza, et alors que le franchisé en l’espèce venait de renouveler
son contrat de franchise, étant franchisé depuis sept ans, la Cour d’Appel de
Versailles retient que : « le franchisé n’avait pas pu prendre toute la mesure de la gravité de la
situation et que cela ne dispensait pas la société franchiseur de son obligation d’information. »
La société franchiseur aurait dû l’indiquer expressément dans le DIP. La nullité est alors
prononcée par la juridiction.
Quelles en sont les conséquences ?
De façon usuelle, la Cour rappelle que la nullité d’un contrat emporte son effacement rétroactif,
et prononce en conséquence la restitution au franchisé des sommes effectivement versées au
franchiseur, soit la somme de 15 000 € versée au titre du droit d’entrée. Le franchisé sollicitait
alors l’indemnisation du préjudice né de la perte de chance de n’avoir pas engagé utilement les
sommes investies au titre de la franchise, et le remboursement du matériel nécessaire à
l’exploitation.
La Cour déboute le franchisé de l’ensemble de ses demandes. En effet, elle relève que la
société franchisée, « bien qu’en procédure de redressement judiciaire, continue d’exploiter son
activité de fabrication, vente et livraison de pizzas, désormais sous sa propre enseigne. »
La Cour indique alors que le franchisé ne démontre pas qu’il n’utilise plus, dans le cadre de son
activité sous cette nouvelle enseigne, les équipements de cuisine acquis au moyen d’un crédit-
bail. La Cour va même jusqu’à constater que le franchisé n’établit pas non plus qu’il n’utilise
plus le véhicule de l’entreprise. « Elle juge alors que le franchisé ne peut soutenir qu’il a
effectué ses investissements en pure perte, alors qu’il est aujourd’hui propriétaire des
équipements et du véhicule. »
De même, s’agissant des investissements faits par le franchisé au titre des capitaux investis
pour constituer sa société, la Cour relève que les sommes investies figurent toujours dans les
comptes de la société, laquelle poursuit son activité.
Il en résulte que le franchisé ne justifie pas, selon la Cour, d’un préjudice indemnisable.
Conclusion
Afin que le franchisé puisse réussir dans la démonstration de son préjudice, il aurait ainsi fallu
qu’il démontre que les sommes investies l’étaient en pure perte.
Tel aurait été le cas, par exemple, si son activité avait cessé et que les éléments investis pour
l’exploitation de l’activité de restauration n’étaient plus utilisés. Le seul bénéfice de l’action du
franchisé dans cette affaire est d’avoir obtenu la nullité de l’acte de cautionnement qu’il avait
souscrit au profit du franchiseur. En effet, le contrat de franchise étant annulé, la Cour d’Appel
de Versailles prononce l’annulation du cautionnement qu’avait consenti le gérant au franchiseur.
L’accessoire suit ainsi le contrat principal. Enfin, il ne pouvait y avoir restitution des redevances
prévues au contrat de franchise, puisque le franchisé, en l’état, ne les avait pas payées au franchiseur.
Au final, le franchisé a gagné une bataille contre le franchiseur qui est sanctionné
pour dol, mais, en termes de réparation, l’indemnisation est mince.
Le risque est en revanche beaucoup plus important pour le franchiseur, qui devra certainement
faire face à d’autres contentieux initiés par les franchisés de son réseau, pour ceux qui
n’auraient pas eu l’information précontractuelle ,comme jugé par la Cour d’Appel de Versailles.
En conclusion, le dol pourra être lourd de conséquences pour le franchiseur et l’indemnisation
pas si importante que cela pour le franchisé.
Cour d’Appel de Versailles, 28 septembre 2023 N°21/00561